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LA MARIÉE MISE À NU... (PAR LES CÉLIBATAIRES) – CONTE – 6

Pascal Gautrin – Polyptyque – contes et récits

La Mariée mise à nu… (par les Célibataires)  (suite)

 

Entrée en lice de l’objet n°3.

Les mêmes rouages vont s’enclencher. Routine… Tout le monde a compris : petit appariteur bondissant… hop ! hop !... présentation de la toile tous azimuts, de-ci, de-là, devant...

N°3 : Jérôme Flocon, Géraldine en cloque.

Flocon !... La minute est chargée d’émotion. Public frissonne, puis retient son souffle. Chaud devant !...

Flocon… Monstre sacré salué par les anges de l’expertise... Faiseur de chefs-d’œuvre… Génie qu’on estampille les yeux fermés…

Flocon Jérôme. Respect !…

Un phénomène à sa manière. D’un certain point de vue, pour lui ou à cause de lui qu’on est venu là, bravant la mort en ce jour de fournaise.

Jérôme Flocon… Depuis une demi-décennie, étoile qui file droit au pinacle du succès, sans biaiser. Et à cette heure, en pôle-position au firmament des beaux-arts, comète fascinante qui désespère les envieux. Flocon, coqueluche de la spéculation moderne… Flocon, promesse de pactole…

 

– Insert pour un aperçu de l’œuvre floconienne. Le critique d’art incontesté, J.-D. Payenzehler, lui ayant consacré un long article dans un récent numéro de la revue International Contemporary Art, il nous a paru judicieux de donner ci-après la traduction de quelques extraits :

« […] Quels sont les sujets de prédilection de l’artiste (ceux qui, avouons-le, nous interpellent davantage) ? Des femmes enceintes et des nouveau-nés chimériques…

« Sortilège érotique des premières dont la contemplation provoque d’ineffables secousses dans les profondeurs masculines... Énigmes insondables de la sexualité et de la fécondité. Habile conglomérat d’angoisses savantes et de désirs torturés. […]

« Quant à ses portraits d’enfants au berceau, ils nous plongent dans un état de consternation morbide : jeunes monstres informes, fantomatiques, bébés-aliens méchamment pondus en ce bas monde après qu’ils ont traversé quels limbes aventureux, quelles antichambres de la Peur ?... quelles terras incognitas ? – ô combien incognitas !... – Flocon n’est pas un simple peintre ; c’est un révélateur d’âmes, un prophète : les yeux de ses modèles, adultes ou nourrissons, sont des miroirs au fond desquels se dévoilent certains arrière-plans de la psyché qui font froid dans le dos ; on y devine des espaces infinis (rêves ou réalité ?) qui n’ont rien à envier aux univers les plus inquiétants imaginés par la science-fiction.

« […] Autre particularité qui nous apostrophe : tous les modèles, femmes ou enfants, sont installés au milieu de natures mortes composées de sextoys peints avec un réalisme si cru que le visiteur est souvent tenté de s’en saisir et les emporter.

« […] L’œuvre de Flocon est autobiographique, et ce n’est pas s’abandonner à une curiosité louche de presse people que de révéler cette singularité (le peintre n’est-il pas le premier à attirer, en toute franchise, l’attention sur ce point ?). Les femmes enceintes qui ont tour à tour posé pour lui étaient ses compagnes de la vie, les bébés dont il a fait ses modèles étaient ses derniers nés, les objets pornographiques du décor proviennent de la panoplie de ses instruments usuels… C’est un homme privé qui explore ses proches à nu et confesse ses propres hantises. Cette proximité contribue largement au trouble qui émeut et bouscule le spectateur le plus averti lorsqu’il se rencontre avec une de ces toiles livrées sans pudeur… » –

 

En ce quatrième jour de juillet, l’investisseur Merteuil expose à la vente une partie de sa collection d’art contemporain – une première manche en quelque sorte qui donne l’occasion à ses courtiers de jouer à la hausse – et plusieurs Flocons de belle facture sont inscrits au catalogue. Propulsion du prodige encore plus haut… Étape cruciale. Tous les amateurs qui auront joué de confiance la carte Flocon au cours de ces dernières années béniront Merteuil en appréciant la plus-value réalisée.

Dans la salle les combattants bandent leurs muscles pour un tournoi sans quartier ; ceux qui sont assis se campent et assurent leur posture sur le siège... D’aucuns qui se tiennent debout affermissent leur équilibre, jambes écartées, genoux légèrement ployés ; d’autres au contraire se haussent sur demi-pointe. Grâce aux stimuli des deux premiers rounds, les corps, endoloris de prime abord par la clim assassine, ont recouvré toute leur vigueur ; une vraie passion belliqueuse électrise les nerfs aiguisés…

Vamos ! Dieu vomit les tièdes ! Que crèvent les débonnaires et les pusillanimes !...

Jérôme Flocon… Géraldine en cloque… Mise à prix : 450.000.

C’est parti. – 500 à gauche. – 550, ici, troisième rang… – Au centre ?… Au fond ?…

 

Ce fut à ce moment précis qu’un cri de stupeur souleva l’assistance. Émettant un son étrange qui faisait penser aux vibrations annonciatrices d’avalanche, la montagne de Gousse chavirait. Une voix aussi désincarnée que celle d’un computer s’échappa de la gorge du commissaire-priseur, prononçant un « Adjugé ! » mécanique ; son bras gros comme le tronc d’un chêne s’abattit, tenant le marteau dans son poing… lequel marteau fit retentir un Pan ! sacramentel lorsqu’il rencontra accidentellement le plateau du bureau qui fut pulvérisé sous le choc.

(à suivre)

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