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Juste avant la fin du Temps (un évangile selon Menahem) - 16

Pascal Gautrin - Mangeur d'Ombres

Juste avant la fin du Temps

– Un évangile selon Menahem –

16

La journée se clôturait par des chants ; c’était enfin la possibilité de se laisser aller un peu en donnant un air de son choix et se dégager des émotions qui nous avaient submergées... Pourtant, malgré l’état de sensibilité affective dans lequel nous nous retrouvions chaque soir après toutes ces heures psalmodiées, nous réclamions encore à notre compagnon Loukas – celui qu’on appelait Loukas de Cesarea – la Lamentation du Juste abandonné... Le vieux poème du roi David nous fascinait... il avait été conçu, par une divination effrayante, à l’aube de l’histoire des royaumes ; il avait traversé une immensité temporelle de mille ans avant d’arriver jusqu’à nous... nous qui connaissions désormais l’événement qu’il avait porté pendant si longtemps, caché en son noyau : le martyr de Yokhanan – car oui, l’acte affreux avait été prédit par ce psaume... précisément... sans contestation possible ! –. Lorsque le chantre, de sa voix caverneuse, criait avec le désespoir du Juste : « Toi, ma force, viens me secourir !... Préserve mon âme du glaive, ma vie de la patte du chien... » les sons graves trémulaient, se propageant en ondes douloureuses jusque dans nos os ; l’assistance, qui jusqu’à ce verset s’était tenue prostrée dans le silence, répondait par des gémissements...

 

– Eli ! Eli ! lama sabachthani ?...

Eli ! Eli ! pourquoi m’as-tu abandonné ?

Tu te tiens loin sans me secourir, sans répondre à mes cris !

Eli, je t’appelle tout le jour, mais tu ne m’entends pas ;

La nuit non plus, je n’ai pas de repos.

 

Je suis comme l’eau qui s’écoule,

Tout mon squelette se disloque.

Mon cœur pétri, devenu cire,

Fond dans le creux de mes entrailles.

Ma bouche a séché comme l’argile,

Ma langue est collée au palais...

Eli ! on veut me coucher dans la poussière de la mort.

 

Oui, une meute de chiens m’entoure,

Un clan de scélérats m’encercle...

Ils me percent les mains, les pieds ;

Ils viennent compter mes os

Car ils me tiennent et me scrutent ;

Ils se partagent mes habits,

 En jouant ma tunique aux dés.

 

Mais toi, Yahvé ! ne reste pas au loin...

Toi, ma force, viens me secourir !

Préserve mon âme du glaive ;

Ma vie, de la patte du chien ;

Oui, sauve ma pauvre personne

De la gueule du lion et des cornes des buffles ! »

 

Loukas vivait autrefois de la musique avec sa femme Mara, à la cour de Cesarea ; ensemble ils avaient rejoint la communauté de Yeshu... Le couple d’artistes s’y entendait à faire passer ses auditeurs par des émotions contrastées : après que l’homme venait de nous rouler et enfoncer dans une tourbe de tristesse, elle nous relevait par la fraicheur de son timbre clair... nous nous sentions aussitôt tirés vers le haut, comme emportés sur une voie ouverte par l’envol d’une alouette... ayant quitté son nid posé au creux d’une ornière de boue, elle s’élevait en turlutant ; ses trilles heurtaient le plafond rocheux, le vrillaient d’un vibrato merveilleux ; et l’air frais du dehors s’engouffrait dans notre espace confiné... Mara chantait, le regard tourné vers Yeshu :


Mon cœur est agité de paroles de joie,

Je vais chanter mes poèmes au roi,

Ma langue est aussi vive que le roseau du scribe :

 

Tu es le plus beau des enfants d’Abraham,

La grâce est répandue sur tes lèvres,

C’est pourquoi Elohim t’a béni à jamais.

 

Vaillant héros, ceins ton épée de gloire,

Monte sur le char, bande ton arc,

Taille un royaume de Vérité, de Grâce, de Justice !

Voici ta droite qui jette la stupeur ! Tes flèches sont aiguës :

Des foules resteront courbées par ton passage,

Tes flèches perceront les ennemis du roi.

 

Oui, ton trône est divin ; c’est un trône éternel.

Et ton sceptre royal est sceptre de droiture !

Tu n’aimes que justice, tu exècres le mal,

C’est pourquoi Elohim t’a trouvé – entre tous tes semblables,

Ton Dieu t’a consacré par l’onction de sa joie !

 

(à suivre)

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