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Juste avant la fin du Temps (un évangile selon Menahem) - 11

Pascal Gautrin - Mangeur d'Ombres

Juste avant la fin du Temps

– Un évangile selon Menahem –

11

 

Au sortir de Machaerus, les deux hommes ont pris la direction du nord, longeant la rive orientale de la Mer Morte jusqu’à l’embouchure du Jourdain, dont ils ont ensuite suivi le cours quasi rectiligne jusqu’au lac de Kinneret… une randonnée d’une centaine de milles à peu près… Sur le bord occidental du lac de Kinneret, il a fallu rechercher des autochtones capables de renseigner sur les déplacements de Yeshu ; plusieurs fois, ils se sont égarés à cause des indications imprécises ou contradictoires. Enfin après cinq jours de marche et d’errances, ils ont découvert notre camp nomade, que nous avions posé en cette saison-là non loin du bourg de Magdala. Le soleil commençait à décliner lorsque nous les avons vu s’avancer, gris de poussière, dépenaillés et fourbus ; ils se sont laissés tomber devant notre feu de bois… Ils mouraient de faim ; des bassins remplis d’eau ont été apportés pour les ablutions, ensuite nous leur avons offert des galettes et des gâteaux de figues (nous avions d’abord proposé du vin et des poissons grillés qu’ils avaient refusés en respect des préceptes de Yokhanan, leur maître, lequel préconisait de ne manger que légumes, fruits et céréales.) ... Ensuite Yeshu est venu s’asseoir entre eux et ils ont discuté ensemble longtemps, à voix feutrée… Découpé en bas-relief sur l‘horizon couleur d‘encre, éclaboussé d’astres brillants, et séparé de nous par le feu qui s’élevait en flagelles entrelacées, le groupe, dont Yeshu était l’axe avec de part et d’autre les deux étrangers posés à l’oblique, figurait à nos yeux de spectateurs une statuaire protéiforme, qui se ciselait au gré des passes magiques inventées par les flammes et les ombres. Cette nuit-là, l’écoulement du temps m’a paru subir distorsions et ralentissements, parfois carrément en suspens, me procurant ainsi une agréable sensation de flottaison, sans pesanteur, de suspension du souffle dans son intervalle de repos entre les deux phases d’une respiration... Amorti par la ouate de l’état second, je me suis laissé balloter sur le palabre murmuré du trio, long écoulement ininterrompu, ruissellement musical que survolaient de temps à autre des bribes de paroles claires, comme des poissons d’argent bondissant hors de l’eau… Yeshu ne cherchait pas forcément à se rendre inaudible à nos oreilles ; s’il parlait sur le ton de l’intimité, c’était qu’en réalité, il s’entretenait avec son frère Yokhanan en direct, tête à tête, sans considération de l’éloignement et des murailles mystérieusement abolis, usant du canal qui s’offrait à lui dans la présence de ce couple de disciples converti en pur vecteur spirituel… Nous, nous étions là en témoins de l’ultime conciliabule entre deux chefs d’armée soucieux de peaufiner les plans de route avant le déclenchement décisif de l’action. Yeshu procédait à une dernière revue de détail : il se racontait entièrement, posément, opérant un dévoilement, où l’orgueil et la pudeur n’avaient aucune place, de ses pensées les plus profondes… Il s’exposait à nu comme on dresse un simple inventaire… se révélant lui-même avec franchise, sans fausse modestie, sans rien altérer non plus de son exacte stature, laquelle était parvenue à une dimension pharamineuse puisqu’il n’avait cessé de grandir encore après que Yokhanan et lui avaient partagé leur mission... Et il savait que son frère Baptiseur entendait tout cela, attentif, tapi dans l’obscurité de son cachot aussi confiné qu’une tombe. Les deux maîtres, échangeant à distance, vérifiaient la concordance de leurs vues, s’assuraient que chacun de son côté avait entendu et traduit de la même façon les signes et les ordres du Tout-Puissant. Dans cette confrontation solennelle, ils ont mis au point et arrêté le plan stratégique de la bataille et son calendrier… Tandis que les paroles de Yeshu couraient tel un ruisseau calme, il s’est produit un phénomène singulier… où il m’a été donné de voir tout soudain la nuit se nettoyer entièrement de toutes les poussières de lumières qui scintillaient sous son dôme ; il n’a plus existé au-dessus de nos têtes qu’une surface unie, aplat de violet sombre, pareille à la toile d’un vélarium tendue à travers l’espace. Toutes les étoiles, ayant été ramassées et agglutinées, se trouvaient avalées dans le cône de quelque vaste entonnoir invisible à l’œil humain, et, par l’embouchure de l’ustensile, elles chutaient des nues en une coulée verticale qui s’est pétrifiée sitôt arrivée au sol, formant une colonne dont la base se trouvait posée entre les genoux de Yeshu assis en tailleur et la cime touchait la voûte céleste. Si je m’en approchais pour la regarder au plus près, le nez collé contre, je reconnaissais dans la composition de cette colonne merveilleuse une multitude incommensurable de points lumineux en mouvement ; on aurait dit des myriades de minuscules lucioles qui vibrionnaient follement, à toute vitesse ; observée de loin, c’était une fine stalactite de lumière, vertigineuse, semblable à un mât ou au poteau de soutien d’un chapiteau géant… Je devinais encore que l’objet, doué de pouvoirs métamorphiques, devait infailliblement se muer en bâton dont le Yeshu-berger se saisirait au moment de prendre la route… N’était-ce pas, composé de feux stellaires, le même pilier animé, le même bâton cosmique qui autrefois, pendant les nuits de traversée du Sinaï, s’était manifesté en torche, en flambeau immense, si élancé qu’il perçait les nuages, ouvrant la voie sur les sables du désert devant Moshé et Aharon lorsqu’ils emmenaient derrière eux le peuple hébreu libéré ?... Le lendemain, en proie à une forte fièvre qui ne m’a plus permis de poser un pied par terre, je n’ai pas pu assister au départ des ambassadeurs. Au moment des adieux, Yeshu, les serrant tour à tour entre ses bras, leur parlait encore du royaume divin restauré, des douze Tribus d’Israël qui allaient enfin se trouver recomposées et réunies avec, à la tête de chacune d’elle, l’un des douze Juges qu’Elohim avait déjà désignés et révélés par la voie du rêve ou dans l’état de grâce de la prière… « Je sais que Yokhanan sera content de notre Cercle des Douze, disait Yeshu, parce qu’il reconnaîtra tout de suite des élus que Dieu a choisis lui-même. Dîtes au Baptiseur que, parmi ceux-ci, il y en a au moins quatre qui sont déjà bien connus de lui… »

(à suivre)

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