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LA MARIÉE MISE À NU... (PAR LES CÉLIBATAIRES) – CONTE – 5

Pascal Gautrin – Polyptyque – contes et récits

La Mariée mise à nu… (par les Célibataires)  (suite)

 

 

Carrefour formé par la rue du Cherche-Midi et la rue du Four.

Warnings.

La contractuelle ne se reconnaît pas elle-même : d’habitude ses supérieurs et même ses collègues lui reprochent sa trop grande mansuétude, lui serinent qu’elle est trop molle. Aujourd’hui – à cause de la chaleur infernale qui éveille en son sein quelques démons inconnus, sans doute – elle se montre d’une humeur de dogue ; elle chercherait des crosses à tout ce qui bouge… Pourquoi s’acharner contre cet Américain jusqu’à jouir follement de le voir perdre pied et rougir comme une tomate ? Pas de raison particulière… Peut-être cet accent qui lui paraît agaçant au dernier degré…

L’autre, trempé de sueur, s’épuise à rabâcher que la voiture est tombée en panne au carrefour, qu’il a réussi à la pousser sur le côté pour dégager la chaussée, qu’il a contacté par téléphone sa compagnie d’assurance qui envoie une dépanneuse tout de suite… dans les trente minutes !... d’un moment à l’autre… qui devrait être là d’ailleurs... La femme bleue s’obstine à ne rien entendre. – Si le véhicule n’est pas dégagé immédiatement, répète-t-elle d’un ton sec, j’alerte le service de la fourrière qui sera sur place dans cinq minutes... En son for intérieur, elle est enchantée de cette hargne toute neuve. Véritable révélation d’elle-même à elle-même. Sentiment de fierté !

Pour la vingt-cinquième fois, l’américain éponge son front à l’aide d’un mouchoir en papier. – Cunt ! Cocksucking whore ! récite-t-il tout bas, plusieurs fois de suite comme une adjuration d’exorcisme.

 

 

 Salle n°4, le silence religieux a repris son empire.

Retour de l’appariteur vibrionnant.

Avec des précautions tendres, il enlace, Compenstutensations XIII, le n°2 qu’il embarque dans la danse.

Annonce d’un ton claironnant de héraut : Compenstutensations XIII, œuvre dichrome de Ienisseï Shôhler-Daall. Brandit l’œuvre au-dessus de sa tête, l’expose sous toutes les coutures à la convoitise des regards...

L’artiste, ours asocial bien connu, a été invité, convoqué plutôt… on signale sa présence au siège central du septième rang. Mains crépitent derechef… Comme des encensoirs aimantés par son corps magnétique, mains se tendent en direction du jeune maître qu’on a réussi, fait à marquer d’une pierre blanche, à tirer hors de sa tanière. L’idole grimoule entre ses dents trois mots incompréhensibles tout en plantant son regard sur ses espadrilles. Tout bas, il prie le sol de s’ouvrir sous ses semelles, de l’ensevelir, le digérer dans une motte de glaise... Asticoté par ses voisins, lesquels sont agents à la solde de Merteuil, il lui faut se déplier à contrecœur… Le voici, Shôhler-Daall, géant squelettique, dressé au-dessus de l’assistance. Visage cramoisi, il parvient à incliner imperceptiblement, dans le haut de sa nuque, deux vertèbres cervicales. Clop ! clop !... Salue une fois, deux fois… Et brusquement se replie comme soumis à la volonté impérieuse de ressorts cachés… se casse en angles aigus et lignes brisées jusqu’à se retrouver assis. Maussade. Plein de rancune.

Mise à prix.

Le jeu reprend. Même chose que précédemment... On a déjà conté... Plus rapide, en fait. Sans tergiversations. Tourbillonnant comme un feu de cheminée, l’enchère part et vrille et monte en torche. Culmine et rayonne.

Adjugé-Pan !... Score époustouflant.

Sous une ovation, Compenstutensations XIII peut regagner sa loge en coulisse, tandis que ses voisins agacent le peintre victorieux pour l’obliger à dérouler encore son interminable ossature. Comme il rechigne, les autres sans pitié le pincent et le secouent. Pour la seconde fois, le supplicié s’exécute… remonte au pilori, la haine au ventre.

(à suivre)

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