UA-119166131-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Juste avant la fin du Temps (un évangile selon Menahem) - 14

Pascal Gautrin - Mangeur d'Ombres

Juste avant la fin du Temps

– Un évangile selon Menahem –

14

 

Enfin, vers le milieu du mois de Teveth, l’espace a commencé à se dégager, la masse gorgée d’eau qui l’obstruait s’est peu à peu levée ; les pluies se sont calmées, raréfiées jusqu’à bientôt ne plus tomber que dans la nuit ; les ruissellements, qui avaient rendu si périlleuses les déambulations sur les coteaux, se sont presque taris... Profitant de l’opportunité qui nous était donnée de rompre enfin notre enfermement, nous nous sommes concertés afin de former un détachement de cinq volontaires, dont la mission était d’effectuer l’exploration du val en remontant vers les sources... Grâce à une décrue particulièrement rapide, le lit de la rivière, qui s’était élargi jusqu’à couvrir toute la largeur de la combe, se trouvait déjà presque revenu entre ses bords ordinaires, laissant les berges trouées de mares au creux desquelles des poissons surpris restaient prisonniers ; les marcheurs n’avaient qu’à écarter les herbes penchées au-dessus des piscines étroites pour les prendre à mains nues ; ils remplirent les sacoches qu’ils portaient en bandoulière avec le produit de leurs pêches miraculeuses... Après plusieurs heures de marche sur la rive marécageuse, ils arrivèrent en vue de trois chaumières délabrées, où s’entassaient pêle-mêle une dizaine de paysans et leurs bêtes... un clan de bouviers dont le faciès, femmes et hommes indistinctement, annonçait le caractère ombrageux... Ces êtres étranges bougeaient leurs carcasses trapues par des roulements d’épaules et des déhanchements taurins, une gestuelle qu’ils avaient dû contracter en se mimétisant avec leur bétail. Dès que le groupe de nos éclaireurs fut aperçu d’eux, les minotaures, par la seule menace de leurs fronts abaissés, prêts à charger et dardant par en-dessous des regards furieux, les forcèrent à se clouer sur place. Puis ils beuglèrent en chœur une bordée d’injures, dont les nôtres ne saisirent pas un traître mot, les autochtones usant d’un dialecte inaudible, mixture d’araméen abâtardi et d’arabe... Quoi qu’il en fût, par l’agitation de leurs poings balancés en tous sens, ils surent bien expliquer comment ils allaient défoncer le crâne du premier qui oserait un pas en avant et comment ils éventreraient le deuxième… Ils eurent des expressions corporelles sans ambiguïté pour exhaler toute la haine qu’ils vouaient aux Galiléens en particulier, et probablement à tous les Juifs en général… Nos frères venaient de se heurter à une famille d’idolâtres obtus... de sombres brutes à l’entendement borné, adoratrices de faux dieux anthropomorphes… Comme les visiteurs ne déguerpissaient pas assez vite, les païens, fous de rage, se mirent à projeter sur eux des paquets de bouses et de caillasses, avec en prime un flot de malédictions (malédictions, par bonheur, sans effet néfaste sur ceux qu’elles visaient puisque le sens leur en demeura hermétiquement abscons) … Quelques jours plus tard, nous avons refait une descente dans la vallée, en force et en nombre cette fois. J’avais senti longtemps des vagues de fatigue récurrentes après les fièvres qui m’avaient pris à Magdala ; me trouvant enfin bien rétabli, j’ai pu me joindre à l’expédition... Parvenus à proximité des masures, nous nous sommes mis en embuscade jusqu’à la nuit noire. Pour ce coup, nous avons chapardé, entre autres, un beau lot de volailles… Lors d’une razzia suivante, nous avons même réussi l’enlèvement de deux brebis dont les mamelles bien gonflées nous ont donné du lait frais jusqu’à la fin de notre séjour dans le Banyias… Bien sûr, à chaque fois, nous éprouvions un plaisir méchant à piller leurs enclos, arrachant tous les légumes dont nous pouvions bourrer nos grands sacs... avec une joie barbare, nous saccagions les productions de ces mécréants, ces suppôts du démon Orotalt et d’Al-Uzza, sa parèdre impudique… Nous étions vêtus de guenilles élimées, noires de crasse ; nos figures mâchurées comme des hures de cochons sauvages ; nous devions vraiment avoir l’air d’une bande de brigands. Des hors-la-loi.

 

(à suivre)

Les commentaires sont fermés.