UA-119166131-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

LA MARIÉE MISE À NU... (PAR LES CÉLIBATAIRES) – CONTE – 7

Pascal Gautrin – Polyptyque – contes et récits

La Mariée mise à nu… (par les Célibataires)  (suite)

 

On échangea des regards entre voisins... l’air stupide…

Adjugé ?...  Pan ?...

Avait-on réellement entendu ou bien était-on victime de quelque mirage sonore ?... Ou d’un acouphène au creux de la trompe d’Eustache ? Et pour les malentendants, d’une défaillance traitresse du sonotone ?...

Non, non ! Chacun l’avait bel et bien reçu, perçu, reconnu : « Adjugé ! » articulé d’une voix synthétique, d’une voix d’outre-monde, confirmé aussitôt par le Pan solennel du marteau...

Géraldine en cloque cédé pour la somme ridicule de 550.000 dollars !...

Dans la poitrine des plus émotifs, le muscle cardiaque fit quelques bonds dangereux… voire même un bref arrêt, omettant une ou deux mailles dans le tricot des « diastoles-systoles »…

Un film en accéléré se déroula dans la cervelle des imaginatifs : ils virent défiler des collections mirifiques qui se fanaient d’un coup. Scène de cauchemar : un glacis grisâtre, épais comme un sirop, s’épandait sur des chefs-d’œuvre ; le vernis d’infamie de la cote à la baisse !... Et les visions s’enchaînaient en accéléré… comptes bancaires dans le rouge… bilans déficitaires… investissements ridiculisés… presse hilare… krach !... et enfin, par des fenêtres ouvertes, des sauts dans le vide… dans des chambres solitaires, des revolvers braqués sur tempe !...

 

Les premiers rangs des spectateurs poussèrent encore un hurlement, bousculant leurs sièges dans un élan pour s’enfuir. Avec un fracas épouvantable, l’incommensurable adjudicateur s’effondrait au-dessus d’eux. Il écrabouilla les planches du bureau restées encore debout comme si elles n’étaient que les parois d’une frêle boîte d’allumettes. Les fauteuils renversés se trouvèrent ensevelis sous son corps, ainsi que quelques spectateurs trop lents à déguerpir.

Mouvement de la foule en panique.

Les spectateurs se précipitèrent comme des rats effrayés pour évacuer la salle. Ils se pressèrent, s’écrasèrent dans les sas de sortie... Imprécations… pleurs… injures… Pieds broyés… chemises lacérées.

Dans une allée, cinq ou six esprits forts s’étaient arrêtés en petit groupe pour discuter ostensiblement d’affaires, affirmant ainsi leur flegme et leur mépris du tout-venant impressionnable ; ils furent pulvérisés, piétinés à mort sous la charge en trombe d’une horde hystérique. Des amis, des frères, des couples furent violemment déchirés et séparés ; par-dessus les cris de la foule en délire, on pouvait reconnaître les appels pathétiques de ces âmes éperdues.

 

Dans la rue, un taxi ralentit, s’arrête devant l’entrée de l’Hôtel des Ventes. L’Américain saute sur le trottoir, joues rubescentes et courte haleine ; il s’élance vers les trois marches du seuil qu’il franchit d’un bond… En retard ! Trop en retard ! Une heure et plus… Cette vente qu’il ne devait manquer sous aucun prétexte… toute la première partie perdue… Le Flocon ?... Où en est-on des enchères du Flocon ?... Si au moins il pouvait arriver avant la fin de celles-ci !… Il traverse le hall… Le voici devant la salle 4 d’où une foule dégorge en torrent furieux. Impossible de fendre le flot… Refoulé, rejeté sur le côté par la puissance du courant… Quelques bribes de phrases… des interjections qu’il attrape par-ci par-là au milieu du tumulte : Flocon… de Gousse… effondrement… chute…. Flocon… commissaire-priseur… chute… Flocon… Alors gagné par la fièvre générale, il crie de toute la force de ses poumons : La vente Flocon… est-ce qu’elle est finie ?... Quelqu’un passant au pas de charge répond sans ralentir : – Oui oui ! Fini. Tout est fini. – Quels résultats ?... Flocon ? Combien Flocon ? – Rien du tout. Des clous. Foutu le Flocon. 550… Liquidé à 550000 !

Coup de matraque sur l’occiput. Il est abasourdi.

Jour de cauchemar !... À bout de nerfs, facultés de réflexion et d’analyse enraillées, il lui faudrait se poser quelques minutes… que la vapeur brûlante tiédisse sous sa calotte crânienne… au lieu de cela, il tire son téléphone hors d’une poche de son jean. De l’autre côté de l’Atlantique, le patron attend son appel… dans quelles transes, il n’ose l’imaginer... Lui annoncer la nouvelle… lui apprendre la catastrophe sans tarder puisqu’il voulait être informé en direct… sans faute… en simultané...

Philadelphie, 9 heures 40 du matin. L’homme regarde sans réagir le téléphone qui couine sur la table basse devant lui. Un bref contrôle du comportement de sa main droite… satisfait de constater qu’elle ne bronche pas, il saisit l’appareil et caresse du pouce la touche verte de connexion. Une voix dans son oreille : – Hello, George ?... Hello ?...

Quelques mots ont suffi… pas besoin de longs discours. L’homme n’a fait aucun commentaire… juste remercié, puis posé le pouce sur la touche rouge de déconnexion.

Quatorze minutes plus tard, il se tira dans la bouche une cartouche 33 Magnum avec le fusil dont il usait d’habitude pour la chasse aux canards.

Les commentaires sont fermés.