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UNE HISTOIRE FABULEUSE – Conte – 5

Mangeur d'Ombres – Pascal Gautrin

 

Une Histoire fabuleuse (suite)

 

Deux jours plus tard, on put revoir l’une d’elles – la mère de l’aînée des enfants disparues – aux abords du fleuve sur le quai des Tournelles, seule cette fois… Elle était accroupie, ses grandes jupes étalées autour d’elle dans la vase, et penchée au-dessus de l’eau. Elle avait apporté un pain enveloppé dans une coiffe de coton blanc et un cierge qu’elle alluma à l’aide d’un briquet d’étoupe. Après avoir fait couler quelques gouttes de cire sur une sébile en bois, elle scella dessus le cierge allumé, bien droit, puis disposa à côté le pain emballé dans son linge. Elle fit glisser délicatement cette petite embarcation à plat sur l’eau et, d’une légère poussée de la main, l’encouragea au départ. La sébile tournoya un moment sur elle-même avant de s’abandonner au courant qui l’entraîna à l’écart de la rive… La femme suivait des yeux, avec émotion, la navigation du petit esquif, les mains jointes tout en marmonnant une prière à Saint-Nicolas… Elle allait enfin en avoir le cœur net : cela la rendait folle, cette incertitude… Lorsqu’elle était revenue au faubourg avec sa commère, elle avait pleuré longtemps, bouleversée par toutes les émotions et les angoisses de ces derniers jours. Demeurée seule, elle avait essayé de vaquer aux soins de son ménage, mais le goût n’y était pas, une langueur morbide amollissait et alourdissait tous ses membres ; elle, si active d’ordinaire, n’était bonne à rien… Son homme était rentré sur le soir ; elle lui avait conté sa journée, la traversée de la Seine, la démarche hardie jusque devant le grand Châtelet. Ils étaient restés longtemps, tous les deux assis face à face sans se toucher, le regard dans le vague, abîmés dans une même tristesse. Lui aussi aimait sa gamine comme la prunelle de ses yeux ; il en avait le cœur brisé de la penser perdue. Dans la soirée, des voisins étaient entrés prendre les nouvelles ; la mère avait dû recommencer dix fois le récit de son voyage jusque sur la rive droite. À la fin, tous avaient branlé du chef en signe d’approbation… bien sûr qu’ils auraient fait de même et abandonné la partie avant seulement essayer d’entrer. Il fallait, en toutes circonstances, savoir garder sa tête sur ses épaules… Cent et un écus !... vraiment… ce n’était pas raisonnable une somme pareille ! Cent et un écus : non, il n’y avait pas moyen !…

Le jour suivant, aux alentours de midi, une des voisines, grasse bonne femme à l’esprit affûté, serviable et curieuse de tout, était revenue très émoustillée, l’œil brillant, munie d’informations fraiches et bien certifiées. Au cours de la nuit, il lui était venu l’idée d’aller interroger le vieux sacristain de Saint-Médard, lequel était un sage plein de sapience, renommé dans le faubourg pour n’être jamais à court de remèdes et de bons conseils. En véritable homme de Dieu qu’il aurait pu être, il apportait des réponses à tous les problèmes désespérés qu’on voulait lui poser... Et en effet, ce cas qu’elle lui avait expliqué ne l’avait pas mis dans l’embarras ; il avait sorti de sa giberne une recette infaillible, laquelle il avait exposée de bon cœur… Comment localiser un noyé à l’endroit où il s’était perdu ?... Tout d’abord il fallait, dans l’église des Grands-Augustins, apporter un beau pain sur l’autel de Saint-Nicolas de Tolentin et inviter un prêtre à le consacrer en échange de quelques dons pour la paroisse. Puis, sur une sébile, dresser un cierge allumé et poser auprès le pain consacré, accompagné si possible d’un objet personnel du disparu… et mettre à flot... Sûr et certain… le petit autel marin flotterait jusqu’à l’endroit où le corps du disparu se trouvait retenu dans la profondeur des eaux… Aussi garanti que la venue du printemps après l’hiver : là où il s’arrêterait, reposait au-dessous le mort – ou la morte !... Assurément…

 (à suivre)

 

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