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  • Juste avant la fin du Temps (un évangile selon Menahem) - 7

    Pascal Gautrin - Mangeur d'Ombres

    Juste avant la fin du Temps

    – Un évangile selon Menahem –

    7

    Nous allions de village en village, en évitant de traverser les gros bourgs où la présence de la police romaine représentait un danger ; on y courait également plus de risques de rencontrer des notables arrogants et trop sûrs d’eux. Sur le passage de Yeshu se formaient toujours quelques attroupements d’où des voix s’élevaient, l’appelant au secours ; il faisait s’avancer ceux qui l’imploraient et, par la puissance de sa volonté, il procédait à leur délivrance du mal qui les possédait (assister à ces guérisons avaient immanquablement pour effet de me faire basculer, par mimétisme, dans l’état de sensibilté exacerbée que j’avais éprouvé lors de mon propre sauvetage, avec les mêmes perceptions de réalités intangibles, qui se traduisaient en visions et prises de conscience, dont ma chair, mes os, mes nerfs avaient conservé une mémoire et des empreintes exactes)… Une fois la cure merveilleuse achevée, il éveillait encore la vigilance du convalescent, le mettant en garde contre la paresse de l’esprit qui s’abandonnerait béatement dans l’émerveillement du prodige : désormais, lui annonçait-il, tu as la responsabilité d’un feu qui vient d’être allumé en toi ; tu en es le gardien… Et ce feu exige, pour brûler, une foi féroce en l’amour divin… Haussant la voix, il parlait à tous : Ce qui vient de s‘accomplir en vous, c’est une défaite de Satan. Ne lui accordez plus le droit d’entrer chez vous ; ne lui ouvrez jamais plus la porte ; à partir de maintenant préservez cet état de pureté, parce que la chute définitive du Mal est imminente et vous voici aujourd’hui préparés pour être accueillis dans le royaume des Justes…

    Des pharisiens s’avançaient aussi en manifestant benoîtement une vraie impatience d’entendre ses enseignements et sa philosophie sur le bien-fondé des Lois ; cette curiosité et la foule de questionnements qu’elle engendrait n’étaient pas sans malice. C’était généralement des invitations à étudier toutes les nuances possibles de l’obéissance, à disséquer des versets transparents comme l’eau de source, à en dessécher le lyrisme, à feuilleter les sens multiples de telle proposition ou mettre à jour les arrière-pensées de telle autre prescription... et ainsi de suite… – Pour se débarrasser de ces manières d’examens, Yeshu déclarait vite d’un ton bref, très sérieux, mais que nuançait une lueur d’ironie au coin de l’œil, que toute discussion sur ces points capitaux paraissait malvenue, les préceptes de la Torah étant justement indiscutables… il se permettait seulement de distinguer deux façons de pénétrer la sagesse des Écritures : l’une par dissection sous le scalpel de l’analyse mentale, l’autre par clairvoyance grâce à l’intelligence du cœur ; chacune était respectable d’ailleurs, mais personnellement sa préférence allait à la seconde... On sait que la secte des pharisiens ne constitue pas un ensemble homogène, mais plutôt un conglomérat de tendances variées, volontiers discutailleuses, un éventail d’opinions où les plus strictes se chamaillent avec les moins intolérantes. Il y en eut plusieurs de cette obédience qui se rallièrent à Yeshu et vinrent grossir la cohorte des disciples ; ils ne perdaient pas pour autant leur habitude d’ergoter à tout bout de champ et comme, au cours de notre vie nomade, les incidents et les rencontres pittoresques qui, peu ou prou, bousculaient les codes de la morale ordinaire n’ont pas manqué, ils trouvaient des prétextes pour s’effaroucher et entrer en turbulence plus souvent qu’à leur tour… Par exemple, notre communauté observait avec rigueur le repos du shabbat, cette interruption sacrée étant entièrement occupée par la prière et la méditation ; et, cela va sans dire, le respect scrupuleux de ce point intangible de notre religion hébraïque recevait l’heureuse approbation de nos amis… Toutefois si un indigent venait ce jour-là quémander de l’aide, Yeshu l’accueillait et prodiguait l’aumône sans le renvoyer au lendemain, et bien sûr il soignait ses maux s’il y avait lieu... Au regard de nos puristes, c’était là un accroc dans la stricte observance des commandements qui les chagrinait… – Vous avez raison, leur concédait Yeshu, le Père créateur a voulu que le septième jour de la semaine soit tout entier consacré à la gratitude, dans le silence et le recueillement ; mais je vous dis, moi, qu’il n’y a pas, pour rendre grâce, de façons, ni de prières plus agréables à Dieu, à notre Père (Abba), que la compassion et l’attention portées aux autres, sœurs et frères humains, ainsi qu’à toutes les créatures de la terre !... L’amour ne se repose jamais de nourrir la vie, de même que le souffle ne se retient pas d’animer vos poumons sous prétexte de respecter l’inactivité du shabbat…

    Je me souviens encore de circonstances où le comportement de Yeshu dérangeait la bonne ordonnance de leurs principes... – Yeshu !... Yeshu !... Est-ce bien convenable de ta part d’entrer dans la demeure d’une femme dont la réputation fait rougir les gens honnêtes ; et s’asseoir à sa table, qui plus est ?... Ils formulaient leurs reproches, en se grattouillant le torse comme si une légion de puces venait de les assaillir. – Une prostituée, Yeshu !... une prostituée, puisqu’il faut la désigner par le mot infâme !... Comment as-tu pu boire le vin que t’a offert un ivrogne dont l’état d’ébriété était flagrant ?... Une vision de scandale pour nous autres !... Yeshu !... Yeshu !... Tu as posé les mains sur le lépreux… Tu as détourné le châtiment que méritait la luxurieuse infidèle à son mari… Et tu discutes avec des étrangers, des incirconcis, avec la même bénignité que s’ils étaient nos coreligionnaires... Ils ronchonnaient ainsi, la mine si attristée, apitoyants en quelque sorte avec leur tête ballant doucement d’un côté à l’autre, que nous étions malgré nous enclins à sourire… – Tout cela n’est pas convenable, pas casher du tout… Des impurs, Yeshu… tu te compromets avec des impurs… Yeshu répétait constamment qu’à Dieu seul était réservé le pouvoir de juger les cœurs. Les prêtres se fourvoient la plupart du temps lorsqu’ils s’arrogent le droit de trancher entre le pur et l’impur ; par ailleurs, il n’existe aucun contact, aucun commerce avec qui que ce soit, étranger, réprouvé ou ladre, susceptible de nous contaminer et flétrir notre âme ; dans nos pensées, dans nos sentiments seulement, concluait-il en pointant du doigt leur front et leur cœur, résident les sources de péchés dont il faut à tout moment se défier et veiller à se purifier.

    (à suivre)