UA-119166131-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

LA MARIÉE MISE À NU... (PAR LES CÉLIBATAIRES) – CONTE – 9

Pascal Gautrin – Polyptyque – contes et récits

La Mariée mise à nu… (par les Célibataires)  (suite)

 

3

 

La vente Merteuil fut invalidée par la C.V.V. (Commission des Ventes Volontaires) et le collectionneur dépité récupéra tous ses tableaux qu’il remisa dans l’attente d’une prochaine partie plus propice.

 

Au soir du jour terrible – dies illa – les journaux rapportèrent que le financier George S. Suiter s’était donné la mort au dernier étage du Suiter Palace, fier building qui domine le quartier des affaires de Philadelphie. Depuis quelques jours, le microcosme financier murmurait que l’homme d’affaires était au bord de la banqueroute, sans soupçonner encore à quel point proche du bord… Il semble que l’ultime espoir de George S. pour retarder sa chute en étanchant les plus hémorragiques de ses dettes avait été la vente de sa collection d’œuvres d’art : au cours des dernières années il avait misé un maximum de fonds sur les étonnantes performances du peintre Jérôme Flocon... C’est après avoir appris l’inexplicable effondrement de cet artiste que le désespéré avait conçu cette conclusion tragique à sa formidable carrière

 

Mort et effondrement cataclysmique d’un commissaire-priseur… suicide tragique d’un milliardaire, prince de Wall Street… Dans le monde de l’art et les cercles d’amateurs, le Flocon commença à faire peur

Flocon… le nom devenait synonyme de krach, de loser… pire encore : de génie fatal aux investisseurs. Son front paraissait désormais marqué par cette épithète d’infamie : porte-poisse

 

Fin juillet… À Francfort-sur-le-Main, un industriel voit en l’espace de quelques heures les trésors de sa collection personnelle réduits à néant par un incendie dont l’origine demeurera à jamais inexpliquée (en fait, un court-circuit électrique dans les systèmes de sécurité). Parmi les nombreuses signatures qui figuraient au catalogue, on repère celle de Jérôme Flocon… cette coïncidence est soulignée à gros traits par des chroniqueurs spécialisés…

Mi-août… En prélude à une crise planétaire, on assiste à l’effondrement de la banque d’affaires H.V.F. dont les fonds sont rongés par une prolifération de subprimes. Une enquête de presse note au passage, dans le bureau du directeur général, juste au-dessus du fauteuil présidentiel, la présence au mur d’un Flocon de grande dimension… l’objet était pendu là depuis six mois, dit-on…

Septembre... Une aventure rapportée par le magazine Point de Vue : une aristocrate, gênée financièrement à cause de son goût invétéré pour les jeux sur tapis vert, tente de déposer en douce sa corbeille de fiançailles aux guichets du Crédit municipal. Le directeur du Mont-de-piété considère œuvres d’art et bijoux constituant le riche cadeau de la promise et accepte de prêter sur gage de l’ensemble des objets, à l’exception d’un tableau signé Jérôme Flocon qu’il rejette catégoriquement ; tout au plus consent-il cent euros sur la valeur du cadre qui est, en effet, de belle facture. De rage, la joueuse humiliée crève la toile et la promesse de son mariage princier s’en trouve rompue.

 

Il ne se trouva plus personne parmi tous ceux qui, au temps de sa splendeur, se disputaient les œuvres du peintre qui ne cherchât à s’en débarrasser en catimini… Brossées par le mauvais œil... tout espoir de les revendre se révélait absolument chimérique, même cédées pour un montant symbolique… Offertes en cadeaux, elles étaient vigoureusement rejetées par les récipiendaires offusqués…  L’ultime recours des possesseurs était la destruction pure et simple… la crémation... l’abandon quelquefois…

Sur les trottoirs des beaux quartiers, on croisa des toiles du peintre, lacérées et furtivement oubliées contre un mur…

 

Fin septembre... Baru Ikeda, maître de l’industrie d’armement nippone, décéda au terme d’une longue maladie. Cet amateur fou de peinture occidentale avait amassé une collection de tableaux où figuraient plusieurs Van Gogh et des Pissaro, des Cézanne, Bonnard, Derain, et cætera. … Braque, Rothko, Kandinsky, Pollock, Basquiat, Dubuffet, et cætera. … et 3 Flocon. Par testament, il fit savoir au monde que, même en cas de mort corporelle, il refusait la séparation d’avec ses immortels chefs-d’œuvre… il exigeait qu’on emballât sa dépouille nue avec l’ensemble des toiles, puis qu’on incinérât tout le paquet. Ses dernières volontés furent scrupuleusement respectées et 284 œuvres d’art inestimables furent réduites à un tas de cendres mêlées à celles du défunt. Seuls les 3 Flocon restèrent sur le carreau… quelques jours avant son dernier soupir, le moribond avait dicté un codicille où il était ordonné qu’on retirât l’artiste maudit de la liste des élus.

Pour Flocon, l’exclusion de l’autodafé représenta une sorte de coup de grâce.

(à suivre)

Les commentaires sont fermés.